II. La réaction des personnages
Les réactions les plus apparentes sont celles du roi et des reines d'une part,de Nemours d'autre part. On a vu que les premiers, surpris, devinaient le caractère exceptionnel de cette rencontre. La Dauphine semble même être plus lucide encore : quand elle dit "il y a même quelque chose d'obligeant pour M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l'avoir jamais vu", elle peut soit exprimer que Mme de Clèves fait preuve d'une grande délicatesse et peut efficacement éviter qu'on ne médise sur leur compte ; soit que la jeune femme, en voulant cacher qu'elle devine l'identité de Nemours, trahit l'intérêt, voire l'amour, qu'elle lui porte soudain.
Nemours porte également un intérêt certain à la Princesse de Clèves, bien qu'il ne lui parle jamais directement au cours de ce bal, s'adressant ici à la Dauphine pour manifester sa courtoisie envers celle qu'il a reconnue : cette prise de parole - "Mme de Clèves n'a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j'ai pour la reconnaître" - est à la fois une preuve de modestie (il ne se vante pas de ses qualités) et une manifestation de courtoisie ainsi qu'un compliment détourné à l'adresse de sa cavalière : il semble dire que son mérite est tel qu'on ne peut que savoir qui elle est, même en ne l'ayant jamais rencontrée.
En dehors de ce compliment indirect, les sentiments naissant en lui se manifestent dès le début de l'extrait : l'intensité de son émotion,marquée par l'adverbe "tellement" dans "il faut tellement ssurpris de sa beauté", l'empêche d'être maître de ses actes : "il ne pût s'empêcher de donner des marques de son admiration".
Au contraire, Mme de Clèves ne montre rien de ses sentiments. Le fait qu'elle lui fasse la révérence ne dévoile rien : c'est une simple coutume, puisqu'il était d'usage qu'une dame fasse la révérence à son cavalier avant de danser. Mais si son attitude et ses pensées ne laissent rien paraître de ses émotions, sa réponse à la Dauphine et sa réaction au même instant montrent qu'elle n'est pas moins frappée par la foudre que M. de Nemours :"un peu embarrassée" montre que la Dauphine a touché juste, même si mêmesi Mme de Clèves nie avoir deviné l'identité de Nemours : "Je vous assure,madame, [...] que je ne devine pas si bien que vous le pensez." Ses dénégations sont suscitées par la crainte qu'on ne suppose entre Nemours et elle une relation qui sortirait de la bienséance et des conventions, toutefois elle ne parvient pas à nier complètement, puisqu'elle nuance sa protestation avec "si bien" ; sans doute en raison de sa propension à la sincérité. Quoiqu'il en soit, sa crainte semble montrer qu'elle est éprise de Nemours, même si peut-être elle n'en est pas tout à fait consciente. Sans quoi, ellen'aurait pas protesté de la sorte.