II. L'éloquence de Mme de Chartres
Mme de Chartres, après avoir souligné le danger encouru par sa fille, recourt à trois arguments différents pour la convaincre de ne pas céder à son propre coeur : le mérite de M. de Clèves, la réputation de vertu de Mme de Clèves et le respect de sa dernière volonté.
Elle relie ces trois arguments en un rythme ternaire marqué par l'anphore de "songez" et l'emploi de son synonyme "pensez", avant que de les traiter séparément : "Songez à ce que vous devez à votre mari ; songez ce que vous vous devez à vous-même, et pensez que vous allez perdre cette réputation que vous vous êtes acquise et que je vous ai tant souhaitée".
Le premier argument n'est pas répété, mais Mme de Chartres fait une nouvelle fois allusion au mari de sa fille dans un nouveau rythme ternaire quand elle lui suggère des solutions pour échapper à la tentation : "Ayez de la force et du courage, ma fille, retirez-vous de la cour, obligez votre mari de vous emmener". Par cette évocation, elle lui remet en mémoire, sans y paraître, le fait qu'elle risque la réputation de son époux en même temps que la sienne.
Le second argument, en revanche, est davantage développé, par l'appel à la bonne conduite et au devoir de la jeune femme : "la vertu et votre devoir". L'accent est d'ailleurs mis plutôt sur le devoir, à travers l'emploi d'uinjonctions à l'impératif : "songez", "pensez", "Ayez", "retirez-vous", "obligez", "ne craignez point"...
Enfin, le troisième argument est celui sur lequel Mme de Chartres s'appuie le plus : en une sorte de chantage affectif qui a pour but de sauver sa fille du danger où elle se trouve, etsachant à quel point elle lui est attachée, elle lui rappelle qu'elle est sur le point de mourir à la fois au début et à la fin de son discours : la répétition de "quitter", tout d'abord, a pour but de révéler à Mme de Clèves qu'elle ne pourra bientôt plus compter sur le soutien de sa mère - "Il faut nous quitter, ma fille" ; "le déplaisir que j'ai de vous quitter". Ensuite, la période(= longue phrase construite rigoureusement selon des règles rhtéoriques) qui clôt le discours fait appel à la nécessité,pour le repos de son âme, de ne pas voir sa fille tomber dans la déchéance.
Structure de la période en question :
2 hypothèses :
*"Si d'autres raisons que celles de la vertu et de votre devoir vous pouvaient obliger à ce que je souhaite," => annonce que tente un dernier argument, qui sera imparable même si les deux autres ne touchent pas la princesse
* "si quelque chose était capable de troubler le bonheur que j'espère en sortant de ce monde," => ayant mené une vie exemplaire, le repos devrait lui être accordé après sa mort, mais une chose, une seule, peut malgré tout troubler ce repos
Une cause de tourment possible (conséquence de ces hypothèses) :
*"je vous dirai que [...] ce serait de vous voir tomber comme les autres femmes ;" => l'emploi du conditionnel peut suggérer que Mme de Chartres espère qu'une telle chose ne se réalisera pas : voir sa fille perdre toute vertu troublerait la paix de son âme au-delà de la mort
Une conclusion concernant cette cause éventuelle de tourment :
* "mais, si ce malheur vous doit arriver, je reçois la mort avec joie, pour n'en être pas le témoin" => elle regrette de devoir quitter sa fille (voir le début du discours) : mais la mort est préférable à la vie si sa fille se laisse entraîner dans une galanterie.
Cet argument rigoureusement et logiquement construit ne peut que faire mouche : "Mme de Clèves fondait en larmes sur la main de sa mère".