Séance 4 : la tentative de séduction du duc de Vallombreuse

Introduction

Situation du passage :
Au cours du roman, un nouveau personnage primordial fait son apparition. Il s'agit du duc de Vallombreuse, qui, ayant aperçu Isabelle à sa fenêtre, a décidé d'entreprendre de la séduire. Cependant, il rencontrera plusieurs obstacles à son entreprise, car Isabelle n'est pas du même caractère que la plupart des comédiennes de l'époque et qu'elle n'a d'yeux que pour Sigognac. De plus, dès son apparition, il est rendu antipathique aussi bien à traver sa description que de par sa conduite frivole. Dans le chapitre 8, afin d'attirer sur lui l'attention de la belle comédienne, il se rend dans les coulisses, ainsi que le permettait aux nobles les coutumes de l'époque, et engage le dialogue. Cependant, malgré sa politesse,il ne parvient à plaire ni à la jeune femme, ni au lecteur.

Problématique :
En quoi Vallombreuse se rend-il antipathique bien qu'il n'outrepasse pas les limites de la bienséance ?

Plan :
I. Une savante tactique de séduction
II. Une séduction vouée à l'échec

I. Une savante tactique de séduction

1. L'art de courtiser sans y paraître
Le jeune duc de Vallombreuse met tout en oeuvre pour la courtiser sans paraître vouloir la séduire.
Tout d'abord, se positionner près du miroir pour qu'Isabelle soit obligée de le voir - "son bras appuyé sur le cadre du miroir de manière à ce que les yeux de la comédienne, obligés de consulter la glace à tout instant, dussent souvent le rencontrer" - est une façon de se faire remarquer sans y paraître.
Ensuite, le dialogue qu'il engage avec elle peut paraître tout à fait banal - "Ces vagues compliments ne sortaient pas des galanteries que les gens qui ont de la politesse adressent d'habitude aux comédienne" - si ce n'est que ses paroles en apparence anodines dissimulent un éloge amoureux : certes, il s'agit d'un compliment fait à une comédienne - comme l'indiquent l'emploi du mot "rôle" et l'entrée en matière du duc : "N'est-ce pas vous [...] qui jouez Sylvie... ?" -, mais dans la dernière phrase qu'il prononce - "Heureux les poètes qui confient leurs vers à ces belles lèvres" -, il semble dire à Isabelle qu'il envie ces poètes, par amour pour elle ; de plus, le fait que le narrateur emploie le mot "galanterie" pour nommer ces éloges conforte cette idée en effaçant l'impression première de "vagues compliments" : l'adjectif ici signifie soit que ces compliments sont peu précis, peu originaux, soit qu'il n'ont de compliments que l'apparence, ce que souligne ensuite le remplacement de "compliments" par "galanteries". Les mots prononcéss par Vallombreuse prennent alors un tout autre sens : la sublimation de la femme aimée par l'emploi d'un superlatif - "Jamais rôle n'aura étémieux rempli" - et de termes laudatifs - "bon", "excellent" - employés en opposition avec l'adjectif "mauvais" dans une phrase en gradation - "S'il est mauvais, vous le rendrez bon ; s'il est bon, vous le ferez excellent" - qui a pour but de flatter la jeune femme.


2. Une séduction planifiée
De fait, Vallombreuse, décidé à conquérir le coeur d'Isabelle, a soigneusement planifié cet entretien avec elle, et ne laisse rien au hasard : il compte tout d'abord l'impressionner par son apparence et sa contenance - "Il voulait, avant de parler, frapper un coup par sa beauté, sa mine altière et sa magnificence" ; "de manière à ce que les yeux de la comédienne dussent souvent le rencontrer". Ensuite seulement, quand il pense qu'elle a pu le remarquer et être favorablement impressionnée, il prend la parole.
Plusieurs termes insistent sur le fait qu'il a longuement réfléchi au déroulement de ce dialogue : "manoeuvre savante", "bonne tactique amoureuse". On peut remarquer que ces deux groupes nominaux ont pour noyau un nom relevant plus du vocabulaire militaire que du lexique amoureux : "manoeuvre", "tactique". On trouve de même, un peu plus loin, "frapper un coup par sa beauté", expression qui semble plus appropriée pour une bataille que pour une rencontre amoureuse.
Il s'agit donc ici moins d'amour que de séduction, ce qui implique que Vallombreuse ne ressent nulle passion pour Isabelle, bien qu'il cherche à en inspirer à la jeune comédienne. D'ailleurs, le but de chacune de ses manoeuvres ne se rapporte jamais à la satisfaction de cette dernière, mais toujours à la mise en valeur du duc souhaitant se faire admirer : dans "frapper un coup par sa beauté, sa mine altière et sa magnificence", le déterminant possessif "sa" se rapporte à Vallombreuse.

II. Une séduction vouée à l'échec

Toutefois, Vallombreuse a négligé de prendre en compte plusieurs facteurs, si bien que son entreprise ne peut réussir.
1. Une présence perçue comme contraignante par Isabelle
Tout d'abord, sa tactique ne laisse aucune marge de manoeuvre à Isabelle. L'adjectif "obligée" et le verbe "devoir", en témoignent : "de manière à ce que les yeux de la comédienne [...] dussent souvent le rencontrer", "Isabelle dut les accepter". Cet adjectif et la double occurrence de ce verbe sont également appuyé par l'emploi du verbe "pouvoir" dans une tournure négative qui retire toute liberté à la comédienne : "qui ne pouvait se soustraire à cette question habilement banale".
Par conséquent, Vallombreuse se discrédite aux yeux d'Isabelle par la gêne qu'il suscite en elle : "Isabelle, [...] que ce regard d'une ardeur impérieuse gênait". Sans ce commentaire de la part du narrateur, ce que pense la comédienne est difficilement décelable, si ce n'est par deux indices dans sa contenance : elle évite le regard de l'importun - "[elle] gardait la plus extrême réserve et ne détournait pas sa vue du miroir." - et ne répond à ses louanges que par une politesse distante : car, "en remerciant le duc d'une faible inclinaison de tête", le fait que ce geste soit léger trahit sa réticence à accepter son hommage.


2. Une attitude magnifique, mais rendue ridicule
La froideur polie de la comédienne à l'égard du jeune duc réduit à néant ses efforts pour la séduire et le ridiculise, par la même occasion.

Dès la première étape de son projet, sa réussite est niée à travers les commentaires du narrateur au conditionnel passé marquant l'irréel : "qui eût réussi sans doute avec toute autre que notre ingénue."
Ces commentaires ont pour but de montrer que Vallombreuse n'a pas pris en compte le caractère exceptionnel d'Isabelle dans l'élaboration de sa tactique : il s'est sans doute trop fié à la réputation qu'ont généralement les
comédiennes à l'époque : elles étaient considérées comme des filles
faciles, que tout homme pouvait s'attacher. Or, Isabelle est une
exception, comme en témoignent le qualificatif "ingénue" et, un peu plus loin, l'observation : "mais c'était une singulière fille qu'Isabelle."
Son habileté de séducteur est donc discréditée, voire ridiculisée. Par exemple, dans la phrase : "Elle ne semblait pas s'être aperçue qu'il y avait devant elle planté un des plus beaux seigneurs de la France", le terme "planté", nettement péjoratif, donne une connotation ironique à la remarque exprimée par le narrateur, d'autant plus que Vallombreuse, face à l'indifférence de la jeune femme, va perdre patience - "Ennuyé de cette pause" traduisant qu'il doit en outre sentir le ridicule de sa position -, perdant également sa crédibilité par un acharnement à la courtiser qui n'a pas lieu d'être : "Vallombreuse prit son parti brusquement".

Conclusion

Malgré son expérience en matière de séduction, la tactique savante élaborée avec soin par le duc de Vallombreuse est destinée à échouer par sa méconnaissance de la personnalité d'Isabelle, malgré sa politesse et sa galanterie envers elle. Trop sûr de lui, il se ridiculise et se rend antipathique par sa fierté, son orgueil et le manque de véritable passion pour la jeune femme. Son caractère lui vaudra de devenir de plus en plus antipathique par la suite, jusqu'à ce qu'il prenne conscience de la gravité de ses actes et qu'il évolue, comme chacun des perssonnages de ce roman.