Séance 6 : le tournoi

Introduction

Situation du passage
A l'issue du tome troisième est raconté un évènement historique qui aura son influence, dans le roman, sur Mme de Clèves et qui, à l'époque, a réellement renversé les jeux de pouvoir.
Il s'agit du tournoi au cours duquel Henri II, mortellement blessé, passa de vie à trépas, raison pour laquelle plus aucune joute ne sera organisée par la suite.
Quoiqu'il en soit, ces tournois, hérités de la tradition médiévale et courtoise, étaient l'occasion pour les participants de rendre hommage à leur aimée en portant ses couleurs. C'est également le cas de M. de Nemours
Problématique
Comment M. de Nemours et Mme de Clèves se livrent-ils au bonheur d'aimer sans que nul ne le voie ?

I. Le tournoi, occasion d'hommage à la femme aimée

Le tournoi est l'occasion d'une fête brillante - "le plus magnifique spectacle qui eût paru en France" témoigne de l'admiration de Mme de La Fayette pour l'époque des tournois - réunissant tous les membres de la Cour et est, comme l'indique l'adverbe enfin qui début l'extrait, un évènement très attendu : "enfin, le jour du tournoi arriva."
Quand il est fait allusion aux reines qui s'installent dans les galeries, on peut s'interroger sur le sens du mot reine : "Les reines se rendirent dans les galeries et sur les échafauds qui leur avaient été destiné". En effet, à cause de la valeur généralisante de l'article défini "les", on peut se demander s'il s'agit simplement des trois reines présentes à la cour (la reine mère, l'épouse du roi et la reine d'Angleterre) ou s'il s'agit aussi des femmes qui règnent sur le coeur des participants au tournoi.
De fait, le tournoi est l'occasion pour les hommes qui y participent de prouver leur valeur à leurs aimée et de leur rendre hommage en portant leur couleurs. Dans le roman, les participants n'y font pas exception : "à cause de Mme de Valentinois", "celles d'une belle personne qu'il avait aimée [...] et qu'il aimait encore".

Les couleurs portées par les participants au tournoi ont donc une valeur symbolique, la plupart du temps rattachée à l'histoire ou aux goûts de la femme aimée.
Ainsi, le blanc et le noir portés pas le roi en l'honneur du veuvage de Mme de Valentinois, sa maîtresse, sont deux couleurs symboliques du deuil : le noir de la mort, le blanc du linceul - "Le roi n'avait point d'autres couleurs que le blanc et le noir, qu'il portait toujours à cause de Mme de Valentinois qui était veuve" - le rouge et le blanc portés par le duc de Guise se rapportent à l'amour et à la pureté de cet amour d'une part - "et qu'il aimait encore, quoiqu'il n'osât plus le lui faire paraître" -, à la virginité de son aimée d'autre part (pour le blanc) - "une belle personne qu'il avait aimée lorsqu'elle était fille".
Cependant, l'évocation de ces couleurs symboliques est surtout prétexte à amener progressivement l'hommage discret que M. de Nemours va adresser à Mme de Clèves par des couleurs qui se rapportent à elle : "M. de Nemours avait du jaune et du noir ; on en chercha inutilement la raison. Mme de Clèves n'eut pas de peine à la deviner : elle se souvînt d'avoir dit devant lui qu'elle aimait le jaune, et qu'elle était fâchée d'être blonde, parce qu'elle n'en pouvait mettre.". Comme on peut le voir, le fait qu'il porte le jaune et le noir pour elle n'est pas explicitement exprimé, de même qu'ils ne se disent jamais leur amour ; mais il découle du souvenir qu'a Mme de Clèves concernant ce qu'elle lui a dit du jaune. Pour le noir, on peut supposer qu'il est à rattacher au deuil que porte la jeune femme depuis la mort de Mme de Chartres.

II. Une occasion pour M. de Nemours et Mme de Clèves de se livrer à leur inclination

Les couleurs portées par M. de Nemours étant inconnues au reste de la Cour - "On en chercha inutilement la raison" ; "MMe de Clèves n'en ettant point, on ne pouvait soupçonner que ce fût la sienne" - cela lui permet de témoigner à Mme de Clèves son amour sans que personne puisse s'en rendre compte : "Ce prince crut pouvoir paraître avec cette couleur sans indiscrétion"

De même que M. de Nemours se laisse aller à porter les couleurs de celle qu'il aime, Mme de Clèves se livre au bonheur de le voir jouter sans lutter contre son inclination, dès les premiers instants,comme e souligne "Sitôt que" : dans "Sitôt qu'elle le vit paraître au bout de la lice, elle sentit une émotion extraordinaire", cette "émotion extraordinaire" est probablement son amour pour lui, l'adjectif "extraodinaire" étant à prendre dans son sens le plus fort : c'est un amour hors du commun, qui sort de l'ordinaire. De même, elle ne peut s'empêcher de laisser son bonheur paraître : "de la peine à cacher sa joie", ce qui, heureusement, passe inaperçu, comme le suggère habilement la narratrice : "M. de Nemours avait un agrément dans toutes ses actions qui pouvait faire pencher en sa faveur des personnes moins intéressées que Mme de Clèves.". Autrement dit, d'autres dans l'assistance sont en admiration devant l'habileté de M. de Nemours, si bien que les réactions de la princesse ne paraissent pas déplacées.

Conclusion

Grâce au traditionnel port de couleurs en rapport avec le code courtois lors du tournoi, Nemours peut témoigner son amour en arborant du jaune et du noir, qui se rapportent à Mme de Clèves sans que quiconque le sache, pour le plus grand bonheur de celle-ci. Elle-même, touchée par cette attention et par les prouesse du duc, en oublie sa réserve et laisse l'émotion la submerger, protégée par la joie que tous ressentent également en ce jour de liesse. La princesse semble ici oublier ses principes, sa vertu et les recommandations de sa mère. Toutefois, il n'en est rien : ce n'est qu'un relâchement passager, car la jeune femme, sitôt le tournoi achevé sur la blessure tragique du roi, fait tout pour éviter de se retrouver en présence de Nemours, d'autant plus que bien avant le tournoi, elle a fini par confesser à son époux la passion contre laquelle elle lutte.