Séance 5 : le dénouement, un dernier rebondissement

Introduction

Situation du passage
Traditionnellement, l'épilogue d'un roman présente la situation finale, une fois que l'intrigue s'est déroulée jusqu'à son terme. Le dernier chapitre du Capitaine Fracasse, dont l'action se situe après le mariage de Sigognac et d'Isabelle, pourrait donc être un épilogue. Le titre du chapitre, "Le château du bonheur",antithétique de celui du premier chapitre,"Le château de la misère ", semble également souligner que le point de départ (le manoir des Sigognac) a été rejoint, et que par conséquent plus rien ne peut se produire.
En réalité, il n'en est rien : un dernier rebondissement se produit du fait de la mort de Béelzébuth, le chat noir du baron.

Problématique
En quoi ce dernier rebondissement est-il indispensableà la conclusion de l'aventure ?

Plan
I. Une dimension fantastique
II. Un dernier bonheur inattendu

I. Une dimension fantastique

1. Evocation de la mort
Comme dans le premier chapitre auquel cet extrait du "Château du bonheur" fait écho, une atmosphère fantastique chère à l'auteur domine la scène d'enterrement du félin notamment par l'omniprésence de la nuit, de l'obscurité : "Quand la nuit fut tombée" ; "Le temps était noir" ; "un nuage couleur d'encre". C'est à peine si la lumière, qui est plus une faible lueur qu'une vive clarté, parvient à se montrer : "lueur de la lanterne", "rayons", "à peine un coin de lune" ont des termes ayant pour but de montrer que la lumière peine à éclairer cette scène d'enterrement.
Cette omniprésence fantastique de l'obscurité peut se rattacher à l'idée de la mort, du tombeau qui est creusé, de même que l'évocation des papillons qui viennent tourner autour de la lampe, symboles des âmes des morts dans la mythologie de nombreuses cultures (antique,aztèque, bretonne, irlandais...) : "les phalènes qui venaient en battre la corne de leurs aile poussiéreuses."
2. Une dimension fantastique en lien avec la symbolique de Béelzébuth ?
Cette description de l'enterrement de Béelzebuth se rapproche donc davantage d'une scène païenne que chrétienne. Le nom du chat, Béelzébuth, est d'ailleurs celui d'une divinité païenne du Proche Orient avant de devenir celui du démon chez les chrétiens.
On peut peut-être rattacher le nom du chat noir au fait qu'il soit enterré sous un églantier, rosier sauvage qui était superstitieusement qualifié de "rosier du diable" tout en étant considéré comme plante protectrice : "Il descendit au jardin, et commença à creuser la terre au pied de l'églantier". De même que cet églantier a vu les premières preuves d'amour entre Isabelle et Sigognac au début du roman et qu'il devient désormais le lieu de la tombe du chat, Béelzébuth, qui porte un nom infernal et a soutenu Sigognac dans sa vie de misère, va permettre à son maître de retrouver le trésor de sa famille : "Alors Sigognac approcha la lanterne de l'obstacle et vit, non sans surprise, le couvercle d'une espèce de coffre en chêne".
Ceci peut expliquer l'importance que prend l'animal domestique de Sigognac et son enterrement, qualifié de "funérailles", mot plus solennel, et le fait que le baron ait beaucoup d'égard pour le défunt animal : "dans son linceul de soie", "plus de solennité que n'en méritaient les funérailles d'un chat".

II. Un dernier bonheur inattendu

Ainsi préparé par la mise en place d'une ambiance particulière, le dernier rebondissement peut être introduit par le narrateur, qui va toutefois retarder encore son avènement par un compte-rendu minutieux de chaque geste du baron.

1. Un compte-rendu précis
Tandis que les premières lignes de ce long paragraphe étaient descriptives, à partir de la locution adverbiale de temps "Tout à coup", l'on passe à la narration, avec le passé simple. La moindre action de Sigognac est alors décrite avec force connecteurs : "Tout à coup","mais","Alors", "Puis", sans compter les multiples "et".

Ceci a pour but de maintenir le lecteur dans l'expectative. Le ton neutre de ce passage, d'où le narrateur s'efface complètement alors qu'il commente ordinairement les actes de ses personnages, attise la curiosité du lecteur également quant à la nature de ce que la pelle a heurté soudain : "Tout à coup le fer de sa bêche fit feu comme s'il eût rencontré un silex".
Le seul commentaire du narrateur concernant cette découverte ne fait que piquer le lecteur davantage : "le coffre mystérieux".

2.Une promesse de bonheur ?
Du fait de la rigueur et de l'objectivité de ce passage, l'ambiance particulière du début de l'extrait s'efface, l'obscurité est oubliée, à tel point que le coffre découvert peut être décrit très précisément malgré la nuit : "Alors Sigognac approcha la lanterne pour reconnaître l'obtacle et vit, non sans surprise, le couvercle d'une espèce de coffre en chêne, tout bardé d'épaisses lames de fer rouillé, mais très solides encore".
Non seulement l'obscurité s'efface, mais l'enterrement du chat perd sa solennité. Une fois la boîte déterrée, le seul commentaire concernant son inhumation est celui-ci : "il mit Béelzébuth dans le vide laissé par la boîte, et combla la fosse." En insistant sur le fait qu'il soit mis à la place du coffre, le narrateur introduit une idée d'échange : comme si Béelzébuth avait donné sa vie pour permettre à son maître de trouver le trésor des Sigognac. Il est en quelque sorte le génie tutélaire de la famille ; et une fois que le baron n'a plus besoin de son soutien, qu'Isabelle le remplace, il disparaît : son rôle est terminé.

Conclusion

Introduit par une atmosphère fantastique propre au déclenchement d'un incident inattendu, un dernier rebondissement heureux se produit lors des funérailles de Béelzébuth. Ce rebondissement était indispensable à la fin de l'aventure, car il permet d'une part de faire le lien avec le début de l'aventure, comme dans nombre de dénouements, d'autre part de montrer symboliquement, par la mort du chat et la découverte du trésor, que les épreuves du baron de Sigognac sont bel et bien achevées : le génie obscur,Béelzébuth, qui réconfortait Sigognac dans son existence malheureuse s'efface et laisse la place à l'ange lumineux, Isabelle, quand la fortune sourit enfin au baron.